jeudi 31 mars 2022

Une gorgée de bière ?

  Version audio en bas de page...

Ami-e,                                                                                                               


C’est un soir de printemps. Le ciel a sombré dans le gris fer, les oiseaux se taisent, le brouillard s’avance en nappe et noie les murs après avoir gommé la forêt. Le piano de Petrucciani chante une Petite Louise  toute en simplicité.
J’ai rallumé le feu. 
 
Il y a quelques jours, je suis allée à la rencontre d’une belle idée. Nous étions une quarantaine, peut-être, ou davantage : il fallut trouver des sièges, élargir le cercle au ras des murs et partager la parole…

Les corps s’affirment ou se cachent, tendus vers l’autre comme vers un adversaire ou inébranlablement adossés, immobiles, bras croisés, et puis doucement cèdent et se confient, tensions dénouées, parole apaisée…
Les affirmations flottent comme de sombres oiseaux, se posent enfin, deviennent interrogations, puis accueil par quelque miracle de sagesse.
 
Parce qu’il y a des sages. Ce soir-là, ce sont des hommes confiants dans la capacité de chacun à écouter. 
Les blessés tiennent leurs idées comme des boucliers, mais il y a aussi les rêveurs, les perdus éperdus craignant une enième Apocalypse, les passagers de hasard et les convaincus d'avance... alors mousse, mousse la rencontre comme bière en chope !
 
Ambrée, brune ou blonde, légère blancheur et rousseur irlandaise, goûteuse amertume, douceur de malt,  tout se mêle et s’emmêle pour une fermentation nouvelle… inconnue…
 
Il faut attendre, ami-e, mais un jour viendra où nous goûterons à cet inconnu et il sera bon, il sera doux, éclatant de saveurs improbables, et ce jour-là s’accomplira en nos cœurs un surcroît d’humanité…
 
Que tes rêves soient grands…

Version audio


 
  

vendredi 23 juillet 2021

Esquisses... Trois femmes.

Ami-e, ce matin… trois femmes.

Elles vivent sur le causse comme en béguinage, à l’orée de leurs songes.

Belles.

Uniques.

Distinctes.

 La vie a orné leur visage de fines peintures de guerre.

Les enfants, les joies, les douleurs, les blessures ont plissé leurs sourires, usé leur corps, un peu, l’ont anobli aussi… Elles portent haut et humble le butin de leurs jours, leur liberté d’être et la gloire de leurs combats.

 Chacune offre sa simplicité comme un chant pour le causse…

Leur eau vient du ciel ou des sources, leur lumière est cueillie au soleil, les légumes triomphent de la pierre… leur courage est sans borne.

 Pacifiques guerrières…

 Leurs Chansons de Geste les ont réunies en ce même lieu, mais elles ne se veulent pas ensemble. Chacune danse, chante et se tait à son rythme, l’âme à fleur de corps et le cœur large, prend soin, partage, secoure, écoute et s’enflamme comme herbe trop sèche dans le feu d’un instant, incendiée d’amour peut-être, pour celui qui s’égare, dévastée parfois au repli d’un passé.

 Trois femmes qui portent en elles la guerre des femmes, vaillantes et belles qui traversent les temps, un peu autres, trop vivantes peut-être… En d’autres temps elles auraient été visitées en cachette : la liberté est difficile, tant aux autres que pour soi. En d’autres temps, en d’autres lieux, chacune y engagerait sa vie.

 Ce matin, à l’heure douce où le soleil affleure, leur fidélité s’écrit sous les chênes comme s’aligne la pierre, tant elles sont fidèles à elles-mêmes dans leur humble splendeur.


 Ami-e, je nous souhaite cette même fidélité.

 Que tes rêves soient libres !

    

 

 

vendredi 2 juillet 2021

Esquisses... Celle d'ailleurs

Ami-e, 
 Les orages ont repeint le causse en vert, l’ont paré de fleurs et de papillons, ont réveillé des sources inconnues…
Celle d’ailleurs, je l’ai rencontrée un samedi, à l'abri de hauts murs paisibles.
Je la regarde, penchée sur le papier, qui écrit…
Elle est appliquée à chaque ouvrage avec une délicatesse inquiète. La vie lui a minci le corps, a tendu la chair sur des os d’oiselle et enluminé ses cheveux coupés au carré.
Le soleil a touché sa peau d’ocre et de sienne, je ne sais de son regard que la lumière. Sa solitude lui appartient, on la devine à la précision de ses gestes, à ce souci du jour, cette sollicitude inquiète pour le petit, le fin, le beau, l’habituel… et vit en elle la grâce de la Sulamite.  
Elle l'ignore.

Elle aime Cohen et Dylan.

Elle aime Dieu.

Peut-être faudrait-il baiser ses mains fragiles, la consoler de quelque peine inconnue, lui dire qu’elle est belle, lui dire qu’elle est aimée, je ne sais pas. Lui dire que nous ne méritons rien, jamais, mais que vivre suffit à nous rendre précieux, qu’il ne faut rien de plus.
Infiniment précieuse…

 Ami-e, si tu la rencontres, tu la reconnaîtras : elle a un sourire d’enfant, de l’or posé sur sa peau et la grâce fragile d’une colombe…
 Que tes rêves soient doux !
 

jeudi 27 mai 2021

Esquisses... Celle d'Ici

 Audio

Ami-e…

 Envie d’esquisses…

Le printemps a gelé, puis séché, puis noyé le causse.

Les orchidées sont en fleurs et, ce matin, j’ai vu passer Celle d’ici. Elle traversait la cour, frileuse, belle, déjà là-bas.

 Celle d’ici… C’est son nom.

 Elle s’habille de rêves, pleure à verse et rit en éclats...

Danse sa vie en quelques lignes, les bras ouverts et le cœur gros, dessine comme elle respire, peint des anges et des Graals…

Se veut autre peut-être, à la mesure de ses rêves, mais ses rêves sont comme les nuages, hauts et doux, ils effleurent la terre et y retombent en larmes, en plumes d’anges, en grêle fine et cinglante… 

Alors la vie… celle d’ici, et sous l’averse elle ouvre grand son parapluie bleu, s’émerveille, allume le feu, caresse le chat, se régale de tiramisu…

Ses yeux baignent la terre du ciel qu’elle voit.

 Ami-e, s’il y a une petite place dans ton cœur, elle y glissera la douceur du monde.

 Celle d’Ici est son nom.

  Que tes rêves soient beaux !




lundi 25 janvier 2021

Une poule couvait un rat...

Ami-e,

Ce jour est peint à l’encre de chine.

Au petit matin, dix grands corbeaux sont passés en processions.  Ils se sont installés à la cime des chênes pour tenir concile, discrètement, revêtant de tendresse le croquant de leurs chants…
Deux corneilles veillaient sur leur intimité du haut des cèdres.
  
Plus tard sont venues deux amies d’ici, tisane parfumée dans un pot jaune soleil, galette brûlante partagée avec les nouvelles, celles d’hier, ce demain incertain, mais l’aujourd’hui beau comme une estampe…
 

Et, au milieu du jour, une poule couvait un rat…
 
Étrange affaire : cette poulette couve depuis deux semaines, un peu à contre-temps, mais, en ces temps, comment savoir ?  Chaque jour, elle s’éloigne de son nid quelques instants, et j’étais là, avec quelque douceur pour les chèvres.
 
Une anomalie…

 Trois œufs, bien sûr : deux sont d’un beau blanc laiteux, le troisième moucheté d’ocre, mais, lové autour d’eux en écharpe… un jeune rat.
Il m’entend, ouvre un œil, se blottit davantage. Je lui chuchote ma surprise, il me dit le chat qui le suivait, la cachette rêvée, la chaleur si tentante : jamais poulette ne laissera approcher le chat. Il est un peu inquiet peut-être, mais il sait ce que ses parents ont dit : « Elle met un bâton dans le seau pour que nous puissions boire sans risquer la noyade, d’elle tu ne crains rien, mais crains le chat ! »  Il s’en souvient bien, alors il se rendort…
 
Je suis revenue au soir tombant. Le raton était perché sur la barrière des chèvres, il m’a observé un moment, nous avons ri ensemble, il a vu le chat, il s’est glissé sous la poule qui l’accueillait bien volontiers… vous comprenez, il garde les œufs au chaud quand elle s’éloigne…
Il est resté là deux jours. Et puis est reparti.
 
Ami-e, je sens ton incrédulité, et même ton désarroi :
 
Est-ce vrai ?
– Oui.
– Et tu ne l’as pas occis, ce rat ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Parce que nous avons tous besoin de refaire nos forces, nous avons tous besoin de sécurité, lui comme nous. Et puis converser un peu avec lui m’a permis de prévenir ses congénères plus facilement. Il s’est fait messager : « stabilisez votre population, beaux amis, et nous cohabiterons toujours en paix ». Je sais qu’ils ont entendu.
Et puis il y a le chat !
 
Le soir s’est collé aux murs.
Renard traverse la combe.
Le chat ronronne son plaisir en effleurant ma main de ses pattes velours…
La nuit est close…
 
Que tes rêves soient beaux !



 


dimanche 10 janvier 2021

Une page blanche...

 Version audio

Ami-e,

  

Voilà quelque temps que je ne t’ai pas écrit… j’étais occupée ailleurs, à d’autres écritures aussi.

Tu le sais bien, nous écrivons notre vie, avec parfois une saine angoisse de la page blanche : aujourd’hui devrait nous suffire, mais nous devons nous affairer à demain dans le même temps…

 Je fais comme toi, j’écris ma vie chaque jour avec plus ou moins de bonheur, et je prévois demain.

Et puis j’écris des icônes.

Et puis des histoires de saints.

Ça occupe !

 

L’année qui commence est belle comme cette page blanche. Qu’allons-nous écrire ensemble ?

À chacun de se saisir de ce qui lui conviendra… certains gravent la pierre, d’autres effleurent le sable, inventent des haïkus, méditent des koans, taguent les murs désolés de nos villes et font chanter les couleurs… Si nous pouvions offrir, non pas le malaise, mais le beau et le joyeux…

Mais bien sûr nous le pouvons, alors bonne, belle et joyeuse année !

 Ici, l’hiver s’est posé à grand gel. L’arbre aux oiseaux ressemble à une volière, les chats s’étalent autour du poêle, les chèvres se déguisent en mouflons… Il n’y a que ma belle amie Bernoise qui se réjouisse de dormir dehors. Elle m’invite à la promenade avec une prédilection marquée pour les nuits closes, enchantées d’étoiles et, bien sûr, glacées. Et comme j’aime ces heures-là autant qu’elle…

 Mais… et le couvre-feu, me diras-tu ?

 Oui… sur le causse ? à minuit ? à part le dieu Pan et quelques fadets…

 

Je marche dans la trace des chevreuils, me glisse dans la petite combe, j’écoute les hulottes, je me réjouis d’entendre les sangliers, le blaireau qui s’affaire sous les genêvriers…

 Bernoise m’attend, couchée dans l’allée de buis, le bassin gelé reflète les étoiles…

 Mon petit pote Mambo, électrisé par la pleine lune, course les chevreuils. Ceux-ci prennent la chose avec bonne humeur, ils se connaissent si bien !

Ils s’éloignent en trois bonds, se figent, Mambo aussi, oreilles dressées et regard luisant de Garou, riant de toutes ses dents. Chacun attend, une esquive, un faux départ… mon ami Norbert fait voler quelques feuilles d’un pied faussement rageur et c’est Mambo qui fuit en trois bonds, se fige… etc.

La lune les peint en bleu.

La difficulté, c’est de récupérer mon jeune ami avant deux heures du matin !

 

Ami, cette année qui commence est déjà surprenante. Les poules et les oiseaux se sont mis à couver. J’ai un poussin à damier, joli comme Arlequin. Minuscule. Opiniâtre. Bien sûr, j’ai veillé à le garder à l’abri, dans les premiers jours, tout le poulailler s’en est trouvé confiné : c’est à la mode. Il leur a fallu attendre un franc soleil pour retrouver la liberté.

Le ciel est peint à tempera, ce soir. Le soleil s’est laissé glisser sereinement, déclinant un bon plein de douceurs saumonées…

 Le poêle chuchote… le soir épouse l’âme de Purcell.

 Je te quitte ami-e… 

Que tes rêves soient doux.

 


 

samedi 12 septembre 2020

Prends bien soin de toi... réflexions sans importance

 Ami-e,

 Version audio

Un cri tout à l’heure m’a cueillie sous les cèdres… « Prends bien soin de toi ! Quelle horreur ! »

Pardon, d’abord, d’avoir proféré cette horreur mais du coup, en marchant, je l’ai mâchée…

Un goût de montagne, un soupçon d’Espagne ou des régions Andines…

Une tendresse peut-être, relevée de menthe poivrée : c’est une interpellation… impératif oblige… ou une invitation à l’égocentrisme ?

Un sincère intérêt ?

 De quel cœur sort-elle… ?

 

Ici, sur ce causse nu, cette horreur dit « Tu es aimé-e… »

Elle chuchote que tu es précieux, ami-e, comme la bien-aimée du Cantique, et combien ta présence ici est indispensable…

Que cette vie t’est confiée, peut-être, que tu en es dépositaire mais non propriétaire, et qu’il faudrait donc la recevoir comme telle pour en prendre soin ?

 

Est-ce là que tu peines ?

 

Avons-nous été jetés dans la vie comme on lance un galet dans l’océan pour le voir malmené par les vagues ?

Sommes-nous traversés par un amour dont nous ignorons tout et qui, pourtant, nous paraît irriguer l’univers… et dans ce cas, ne faut-il pas le laisser être en nous et prendre soin de notre corps qui dans un même temps le contient et l’exprime ? 

Sommes-nous un miracle biologique, ce qui suffit amplement à notre émerveillement ?

 

Les galets enchantent les enfants qui les ramassent, l’amour nous fonde, quels que soient les malentendus sur le mot, et la naissance d’un petit est toujours un miracle…

 

C’est toujours la vie qui se donne… non ?

 Alors, prenons soin de cette vie qui demeure en nous… pour quelque temps !

 

Bien-aimé-e,

Prends bien soin de toi et des autres parce que c’est la même chose, bien sûr,

Et que tes rêves soient féconds…



 

Une gorgée de bière ?

    Version audio en bas de page... Ami-e,                                                                                                  ...